Le roitelet

Grand ménage, kimonos de fête, quelques gâteaux et friandises, l’espace du Dojo s’est apprêté, chacun affairé dans ses occupations de préparation.
Un peu d’anxiété, toute légitime plane à hauteur du kamiza.
La pratique commence comme d’habitude mais ce jour est un peu particulier : « Les Portes Ouvertes. »
Des regards scrutent dans ma direction l’air de dire :
« Mais que va-t-il nous sortir aujourd’hui ?  De toute façon nous avons l’habitude de ses sauts rageurs et nous ne broncherons pas, quoiqu’il se passe. »
Peu à peu quelques personnes se présentent. L’espace dédié à la pause thé se remplit. Sagement assis,  ils regarderont, pris par le déroulé des tirs.  Leur imagination vaque à leur mesure, dans un savant mélange d’exotisme et d’exploit.
Une flèche dans la cible, on se risque à une appréciation applaudie, réprimée aussitôt par mon regard sévère. Un sentiment incrédule s’échappe de leur yeux car quelque peu déroutés par mes commentaires à contre sens de leurs attentes.  Je mêle ainsi la correction des pratiquants à des éclaircissements  sur le sens de la pratique du Kyudo. Notre tir à l’arc est une énigme qui révèle celle de notre existence. Se hasarder à quelques explications aux personnes de passage demeure un exercice funambulesque où je ne manque point de choir à chaque fois. Je sens bien que les commentaires rebutent plus qu’ils n’interrogent. Et je me dis : « la prochaine fois je ferai mieux »
Demeurer dans  un silence accueillant pourrait être la solution.
Laisser la magie des tirs même maladroits faire son travail. Faire confiance aux agencements que l’Univers semble concocter. 
Régulièrement on nous dit : « mais que c’est beau …» 

Un jardin, comme il en existe souvent, une charpente de bois toute simple que nous avions faite à l’époque avec nos modestes moyens, un lieu légèrement à l’écart comme pour se protéger. Notre matériel, des  arcs, des flèches et gants invitent par leur qualité au respect et à la politesse. Le déroulement de notre pratique nous appelle à être droit, sensible, attentionné, sincère, accordé.
Le lieu ainsi porte en lui ces agencements car nous tentons flèches après flèches que cela infiltre nos consciences.
Et même si nous avons encore un long chemin à parcourir dans notre quête, l’ambiance imprègne les bois, le jardin, le lieu et l’espace. Il nous suffit à nous pratiquants de ne point oublier la qualité de cet endroit et d’œuvrer à le maintenir et l’améliorer. Fubokan la maison qui n’est pas oubliée est le nom qui me fut offert autrefois. Et si son origine provient d’un autre contexte, assimilons le aussi à notre bâtisse autant qu’au trésor de notre étude.

Ce moment des Portes Ouvertes prend fin et les derniers invités quittent discrètement les lieux.
Mais reste un  dernier convive, petit oiseau  tournoyant au dessus de nos arcs, attiré par je ne sais quelle concordance. Peut-être surpris lui même de cette situation étrange, il va  cogner sa charmante  crête orange  à une vitre au dessus des makiwara.  Abasourdi, il était. Je  câlinai ce roitelet dans mes mains pendant un moment admirant son plumage vert et la délicatesse de ce petit corps qui, il y a un instant était plein de vivacité. Puis je le déposai sur une branche voisine  sentant qu’il reprenait vie. Je retournai à mes autres volatiles  et nous fîmes encore quelques flèches. La séance se termine et je me tourne vers mon protégé, là devant le chemin de flèches. Il est toujours là tout fringant sur sa branche et j’ose croire qu’il m’attendait. Il s’envole à tout jamais.

J’entame le retour vers les montagnes où de gros nuages blancs, épais se pressent tout là-bas. Le vent cavalcade sur les rayons obliques de l’astre en cette fin d’après midi d’automne.  « j’irai bien me faire rincer, laver sous la pluie en arrivant ». Mon ventre déroule la journée commencée très tôt. Il me raconte la nouvelle fable de ces derniers instants écoulés.
En arrivant, point d’eau du ciel !
Je vais retrouver mes mottes de terre à céramique que je pétris jusqu’à l’essoufflement.

Bernard