Il fut dit que je ne dévoilerais pas ce texte, trop rugueux, intraitable.
Lecture après lecture je l’allégeai de mes formules trop cassantes, trop exigeantes et cela faisant j’entame ma démarche toute personnelle vers un peu plus de tranquillité.
Je vous le livre donc et faites à votre convenance.
Jérémiades clairvoyantes
« Plus je vieillis et plus je trouve qu’on ne peut vivre qu’avec les êtres qui vous libèrent et qui vous aiment d’une affection aussi légère à porter que forte à éprouver»
Albert Camus à René Char
Pratiquantes et Pratiquants
Une fois n’est pas coutume, depuis les années 1982 où je partage la pratique de l’arc en tant que guide de cette magnifique discipline, je vais vous compter de cette émotion qui me submerge chaque fois que je tente de guider le groupe...
Une fois n’est pas coutume et permettez moi ces confidences et vous raconter cet état d’âme qui me traverse actuellement.
A propos de mes écritures
Il est des vents qui traversent le pratiquant que je suis et qui découlent de mes pratiques, J’ai tenté de les exprimer au travers de mes écrits, les mettant au service de ma relation à la nature, le ferment de notre activité.
On peut y deviner mes asphyxies devant le monde en perdition mais ces contemplations me nourrissent, me corrigent comme le ferait un maitre qui me fait défaut.
Je ne recueillis que très peu d’échos à ces pages à part quelques personnes hors groupe qui sont venus vers moi pour relater leurs impressions à la lecture de mes mots et m’encourager dans ce choix d’écriture de débutant.
Pourtant les perceptions ou les émotions partagées, voir les critiques me permettent ainsi d’améliorer cette griffe balbutiante et éventuellement de consolider, affiner et nourrir une relation d’étude qu’il peut y avoir entre nous.
Oui, écrire je le voudrais par des mots dont la musique et le sens éprouve le lecteur autant que l’écriveur. Oui je désire m’engloutir au coeur du verbe et de son chant, à l’image de l’archer qui s’enfonce avec courage dans les profondeurs de l’instant d’un lâché instantané.
Il est de coutume dans les enseignements que le guide taise ses doutes ou les questions qui le traversent sur la pratique.
Je déroge comme vous le voyez à cette règle et je m’en excuse.
Mais cette fois-ci, je voudrais y aller plus directement, plus promptement et partager un point essentiel à mes yeux de ce qu’il se passe en moi !
Cela pourrait être aussi un exemple, un risque...
A propos du partage
Il est dit :
« Il n’y a pas de pratiquant doué ou habile mais un état participant du degré d’éveil de chacun »
Cet état d’éveil semble manquer. La relation à la nature comme essentielle sensibilité de conscience est trop dictée par les loisirs stéréotypés. Tendre vers un état d’épanouissement, est aussi cette communication instinctive et sensible qui relie, nourrit, habite, gommant les éternelles attitudes égocentriques.
Actuellement, rien de cela ne transpire dans le corps des archers, ni dans leurs dires.
Bien sur, cette vague consternée, désolée, voir bouleversante, demeure un vaste sujet d’étude toute personnelle, intime et je ne manque pas de m’y atteler sachant pertinemment que tirer, est cet état «où nulle émotion ne vient perturber le lâcher.»
Je me livre à mon ami Dominique qui est d’une belle écoute, à ma compagne qui rencontre les mêmes difficultés, sans que nous sachions vraiment comment faire. Cela étant dit, bien que navrés, nous gardons le feu sacré, ravivés par quelques rares personnes qui semblent plus ouvertes à mes jérémiades.
Mes maîtres ont disparu.
Il y a bien longtemps quand je partageais avec Suzuki Sensei mes interrogations sur le fait de guider un groupe et ses difficultés alors que j’étais tout débutant à ce qu’il m’arrivait, ce qu’il me tombait dessus, avoir l’immense responsabilité de faire découvrir la voie de l’arc, moi même ignorant son sens profond. Cela me troublait et risquait de me corrompre. Mais une intuition irrésistible guidait mes pas, chemin qui n’irait désormais nulle part ailleurs.
Un maitre, un jour rencontré me dit :
« si tu cherches quelque chose enseignes le »
C’était tellement surprenant dans ce pays où le sens du maître a tellement d’importance pour un étudiant de la voie. Et comme tout précepte, cela peut nous faire divaguer hors du vrai chemin et peut aviver un égo déjà trop grand.
Ainsi, il m’a semblé suivre des pas déjà tracés. Cela étant, je décelais un peu d’arrogance de ma part devant cet emballement et redoublais d’allant à pratiquer. Ne voyant le maître qu’une fois par an, cela me semblait bien présomptueux mais là était mon chemin et il fallait que je m’en accommode ou que cela devienne un atout.
Le senseï me conseilla de couper les branches mortes qui pesaient sur un tronc trop fragile. Ce que je fis en arrêtant tous les stages que j’animais alors parcourant le territoire de l’est à l’ouest et du nord au sud. Je me consacrais alors presque essentiellement au Kyudojo et Aikidojo. Je diversifiai mes lectures, mes rencontres intuitives d’études qui pourraient servir la voie.
Je réfléchissais au fait de vouloir avoir des étudiants en nombre ou pas. Dans ce milieu, les professeurs que je rencontrais ici en France, n’étaient pas clairs sur ce point, tous désirant la célébrité et l’argent. Je m’éloignai alors de ce monde. Néanmoins, cela devint la manière de « gagner ma vie ». Gagner sa vie, je le découvrirai un peu plus tard, est d’une autre dimension. .
L’argent n’étant qu’une banale conséquence et qu’il ne pouvait être en aucun cas une affaire, alors rien ne changerait au chemin emprunté. OUI saisir les mots trop rares du maître, s’en emplir et les appliquer inconditionnellement. C’est la voie.
Partager fait partie de cette conduite. Parler régulièrement, se confier est aussi le sentier de l’arc.. Bien sûr mon tempérament souvent impétueux, mon niveau d’expérience très modeste, n’engage peut-être pas à se découvrir et à poser question, à ouvrir son coeur.
Pourtant sans demande, la pratique n’existe pas.
A propos de la pratique
La première page de notre site exprime l’état dans lequel le pratiquant se présente au Dojo et devant la cible.
Je ne vois plus du tout cette conduite innocente du pratiquant qui lui permet de démarrer la pratique.
OUI démarrer l’étude commence par cette acceptation. Elle est mystérieuse. Alors on ne se préoccupe pas de l’énigme mais on peut deviner que le remède est dans le « faire » contenu dans la Voie.
Pour rentrer dans ce mystère il faudra se donner, prendre ce risque ignoré. Accepter d’être chamboulé !
Plus personne ne semble intéressé par : QUI, IL pourrait être, tirant à l’arc. Plus personne ne semble souhaiter une transformation et quitter la médiocrité.
Plus personne n’observe l’invisible. Là encore ce n’est point l’indiscernable qui prime mais le « guetter » .....la vigilance.
La quête du trou dans la cible s’affirmerait comme le seul programme abordable...
Les remarques même légères déclenchent des vexations, des bouderies et même parfois des pleurs.
J’ai souvent sangloté mais une seule fois devant les mots fracassants du maître. Les autres fois, suite à un entrainement intense, cette émotion jaillissait sans que j’en discerne l’origine.
Il semble impossible de sortir ou de vouloir sortir de la raison (tirer sur la corde.)
Il semble impossible de vouloir un bras gauche qui ouvre.
Il semble impossible d’écouter et de se maintenir à l’écoute.
Il semble impossible d’appliquer et se maintenir dans l’application.
Il semble impossible de regarder sans analyser sans penser, sans comparer. Il semble impossible de vouloir s’ouvrir.
Confessions
Au fil des années, les corps des pratiquants de longue date, vieillissent, quoi de plus normal et tellement intéressant. Les maux, les habitudes se révèlent pouvant être de lourdes charges pouvant révéler un nouveau chemin de conscience dans la paix de l’ acceptation. Le peu de forces acquises par les années de pratiques servent un égo étroit où l’ouverture de coeur s’amenuise. Pourtant si nos capacités physiques indéniablement baissent, cela serait au profit de plus de relâchement, d’ouverture, d’empathie, d’un coeur aimable, d’une brillance, même si les traits ne parviennent plus dans la cible.
La quête du « sans Rien » de cette conscience éclairée dont on ignore tout, demeure pour nous tous probablement un étrange domaine, une brume vague et lumineuse se tenant pourtant tout près dans notre vraie nature.
Par contre la vigilance, la noble attention fera de notre vie une embardée joyeuse et un peu d’humanité donnera à ce lieu et à notre monde la bouffée d’air qu’il lui fait profondément défaut.
Chaque petite chose qui anime notre corps, nos émotions, nos pensées, vibre avec des conséquences inimaginables, inconcevables. Pratiquer c’est laisser venir à soi, anoblir, trouver les antidotes, laisser se transformer, rendre la beauté, c’est « Kyu Do » et « Yumi no Michi. »
Guider, voire enseigner ne se résume pas à dire ce qu’il faut faire, mais c’est se donner tel un vent tourbillonnant dans le corps et le coeur du tireur. Pratiquer, c’est appliquer à soi même les vertus que prodigue l’arc.
La paix en est l’enfant.
Yusen
“ L’art de vivre consiste à garder intact le sentiment de la vie et à ne jamais déserter le point d’émerveillement et de sidération qui seul permet à l’âme de voir ”
Christian Bobin