La voie du retour à la Nature
Qu'est-ce que la nature?
La nature est incommunicable
Si, d’aventure, quelqu’un me demandait ce qu’est la nature, je crois qu’honnêtement je serais bien incapable de lui apporter une réponse satisfaisante. Et pourtant, les uns et les autres nous faisons fréquemment usage de ce vocable sans plus ou moins y penser.Moi également, il m’arrive de parler sur le fond et la forme de la nature comme si j’en percevais tout ; mais dans mon for intérieur, je pressens bien que le seul fait d’en faire mention et toute tentative pour l’exprimer sont entachés d’erreur.
Ne serait-ce pas un moyen, pour approcher de plus près la notion de nature, de dire qu’elle n’a ni forme ni fond (ni esprit) ? Quand on demande ce qu’est la nature, cela sous-entend des images champêtres de montagnes, de riches végétations, de voûte céleste cosmique, d’étendues sauvages. Pour les gnostiques, cela va même à s’imaginer les décors de l’univers décrits dans le Livre de la Genèse comme étant la nature dans son essence.
En règle générale, les gens perçoivent la nature en tant que phénomènes naturels éclairés par les sciences « naturelles ».Ils conçoivent les végétaux sous l’angle botanique comme étant la nature même. On emploie souvent l’expression littéraire « à chacun selon sa nature » et on considère les inclinaisons naturelles comme étant la nature proprement dite.
Personnellement, je suis convaincu qu’il n’existe nul moyen pour exprimer la véritable essence ni le fondement réel de la nature.Peu importent les mots que nous emploierons ; nous sommes juste capables de discourir sur la nature botanique, de la décrire du point de vue seulement cosmique. Mais, limités que nous sommes pour pouvoir appréhender directement son essence, nous tournons en rond à sa périphérie en nous contentant de faire des amalgames.
Même la représentation mentale que les gens se fond de la nature, celle d’un monde entièrement laissé à lui-même, inaltéré et inviolé, c’est toujours et encore une vision intellectuelle non naturelle reposant sur une action humaine tout autant « hors nature ». À la limite je lui préfèrerais l’approche « RASA »* qui transcende la nature à vision humaine et que l’on acquiert en abandonnant précisément, toute notion de nature.
* RASA : conception philosophique hindoue émanant des Lois de la Connaissance inscrites dans les « ALANKARAS »
(qu’on peut traduire : perfection crée ou création parfaite). RASA est la résultante expérimentale des émotions esthétiques qui ont franchi
les cinq stades de croissance évolutive : graine, bourgeon, tige, fleur, fruit : beauté à l’état pur.
Cependant, du fait que RASA est simplement le contraire de ce qui n’est pas RASA, dire la chose de cette façon n’est pas très bon. Vraiment, il n’y a pas moyen de décrire la nature en ce qu’elle est en vérité. Le mieux que je pourrais faire, ce serait de dire que pourrait se nommer NATURE ce qui – après avoir fait le vide absolu dans notre cerveau - subsiste dans notre âme, ce quelque chose d’indéfinissable que nous éprouvons et qui va au-delà de la lumière dont le poète Basho écrivait dans un haïku : « Oh ! Quelle splendeur ! Un rayon de soleil sur les jeunes feuilles vertes ». Je suis persuadé qu’il n’est pas de meilleure définition.
Il devrait être évident, dans ces conditions, qu’expliquer le mot NATURE est impossible. Et nonobstant, certains semblent se faire à l’idée qu’en étudiant la nature dans toutes ses composantes et dimensions, en faisant la synthèse de ce qu’en connaissent les naturalistes, ce qu’en savent les religieux, celle qu’en voient les artistes et celle conçue par les philosophes, on parviendra à la comprendre. Mais la nature, la vraie, ne se décompose pas, ne saurait être « débitée » en morceaux analysables séparément ; morceaux qu’on rassemblerait pour définir un tout globalement compréhensible. Comprendre ne procède pas de l’analyse ni de la réflexion. On a tendance à croire que la nature dans sa forme, ses contours, peut se subdiviser et être observée sous différentes perspectives soumises à un jugement synthétique ; il en va tout autrement. Dieu, lui aussi, nous montre ses différents et multiples visages et cependant dès que nous privilégions l’un ou l’autre et lui accordons un commentaire spécifique, Dieu cesse d’être Dieu. C’est dans ce même ordre d’idée que la nature devient non naturelle dès qu’elle est dépeinte sur un tableau. Elle est transformée en concepts distinctifs, mise en pièces et gardée à distance. Elle est devenue, à maints égards, quelque chose d’autre. Et, bien sûr, une fois devenue détachée de Dieu elle ne peut revenir à son « ego » d’origine. Il en va de même de l’homme qui s’est séparé de son Dieu (ou de la punition, du bannissement de l’homme par Dieu). Plus notre conscience aiguise fortement notre désir de savoir, de connaissance, et plus nous nous distançons de la nature.
C’est cette nature transcendante aux pensées discriminatoires et relativistes de l’homme qui est la vraie nature ; mais ce qui réside au-delà de son monde relatif, l’homme ne peut l’exprimer par son langage d’homme.
Consciemment, ou à son insu, qu’il s’en rende compte ou non, l’homme ne peut pas appréhender la nature. Même si on hasardait (témérairement) que la nature - et Dieu - pourraient s’entr’apercevoir à partir d’une vue d’ensemble (excluant toute discrimination) ce point de vue, hors des limites de l’inconscient, n’est pas à la portée de l’homme. Aussi dommage que ce puisse être, cela veut dire que l’homme ne connaît ni la nature ni Dieu, transcendants qu’ils sont. Ainsi, bien que nous puissions aventurer des explications, elles se résumeront et aboutiront à exposer que la nature est une chose incommunicable.
Masanobu Fukuoka
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